Chapitre 1

De la représentation théâtrale à la réalité ( bientôt d’autres images)
Toulouse – 23 octobre 2015

Un an après la mort de Rémi Fraisse, Le peuple a l’œil a souhaité interroger la population sur cette affaire et dénoncer l’état répressif et les violences policières ainsi que la passivité du corps judiciaire face à ce dossier.

Pour cela, Le peuple a l’œil a mené une première action artistique à l’université du Mirail : une représentation théâtrale des circonstances de la mort de Rémi Fraisse à laquelle était associées affiches et tracts expliquant notre action. Les étudiants et personnels ont été attentifs et accueillants permettant le bon déroulement de notre projet.

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Afin de reproduire notre action sur un autre lieu, nous nous étions donné rendez-vous à 15h à la station de métro de Ramonville. Nous étions une douzaine de personnes. Après avoir remarqué plusieurs véhicules de gendarmerie et des flics en civil qui nous surveillaient, nous sommes montés dans nos voitures, nous apprêtant à prendre la route vers le lieu de notre prochaine action. C’est à ce moment qu’en quelques secondes, la gendarmerie encercle deux de nos voitures prétextant un contrôle routier.

Il relevèrent nos identités. Quand nous leur en avons demandé la raison, ils nous ont répondu avoir reçu des ordres pour ce jour spécial. Un membre de notre collectif a commencé à filmer la scène avec son téléphone. C’était apparemment intolérable de leur point de vue. D’autres gendarmes sont arrivés en nombre.

Le copain qui filmait  a tenté de s’éloigner. Ils ont couru derrière lui et l’ont attrapé brutalement dans l’espoir de supprimer ses images. C’était sans compter sur sa détermination puisqu’il mit alors la carte SD dans sa bouche afin de les préserver,cet acte a surpris les gendarmes qui ont cru qu’il l’avait avalée.

Comme ils n’avaient rien à lui reprocher – ils semblaient d’ailleurs assez agacés de voir que nous connaissions nos droits et les lois – ils sont restés plantés là en le tenant par le bras sans trop savoir quoi faire. Pendant ce temps, une copine a sorti à son tour son téléphone pour filmer ce contrôle musclé. Cette fois, un gendarme a pris les devants: il a attrapé le téléphone, en tordant le poignet de la copine au passage et il a effacé les vidéos. Les passants et les habitants du quartier s’attroupèrent rapidement autour de nous et exprimèrent leur soutien à notre égard et leur indignation face à cette pression arbitraire et injustifiée exercée à l’encontre de notre petit groupe « d’artistes pacifistes ». Pendant qu’ils contrôlaient nos identités, ils nous ont montré qu’ils avaient déjà enquêté sur nous. Un flic a par exemple demandé à l’une d’entre nous :  » C’est bien elle votre fille ? « . Il nous ont également fait comprendre qu’ils avaient surveillé notre action à l’université du Mirail.

Au moment où ils avaient décidé d’arrêter notre copain, l’un d’entre nous a réussi à s’éloigner du groupe dans l’intention de nous venir en aide si la situation dégénérait.  C’est suite à cela que nous avons atteint le comble du grotesque : des dizaines de gendarmes en uniforme, en civil, en voiture,à pied, à moto se sont mis à le traquer comme le plus grand des criminels. Et c’est alors un hélicoptère qui a volé au dessus de nos têtes pendant plus d’une heure.

La population du quartier était abasourdie et effrayée, ne comprenant pas les raisons d’un tel déploiement. Durant près de deux heures, le quartier couleur bleue a été rythmé par les allers-retours des gendarmes, de la BAC (brigade anti criminalité) et de l’hélico, prêts à tout pour capturer ce « criminel en fuite » ! Quand le gros des troupes est reparti, notre ami est réapparu. Il est monté avec nous dans l’une de nos voitures direction Toulouse. Pour ne pas rentrer bredouille, ils ont pris cette voiture en filature, parvenant à la suivre à travers les embouteillages de l’heure de pointe jusqu’au pont Saint Pierre où ils ont bifurqué.

Quelques minutes plus tard, alors que nous nous apprêtions à rentrer en voiture dans le garage de notre immeuble, une voiture de la BAC se place juste derrière la notre. Les flics veulent procéder à un ultime contrôle d’identité pour clore cette journée surréaliste. Ils mettent enfin un nom sur le « dangereux criminel » traqué tout l’après-midi qui avait largement annoncé depuis deux mois sur les réseaux sociaux son appel pour trouver des gens qui souhaiteraient monter cette action artistique. Un tel scoop valait bien les milliers d’euros dépensés au cours de cette opération. Ce contrôle d’identité leur confirme qu’ils ont retrouvé la trace de ce dangereux pacifiste affublé d’une fiche S.

Cette répression policière clairement démesurée ne fait que nous convaincre un peu plus de l’absurdité de la situation. Evidemment nous ne sommes pas les seuls, et sans tomber dans le piège du « good cop/bad cop », à certains moments, des éléments des « farces de l’ordre » ont eu peine à comprendre ce qu’ils faisaient là. Chez les plus jeunes ont pouvait voir la volonté de la fermer et de devenir transparent. C’est pourquoi Le peuple a l’oeil tiendra désormais une cellule psychologique à visée émancipatrice pour les membres de l’institution policière affichant un certain malaise sur la fonction qu’il ou elle exerce.

Le dispositif déployé, disproportionné et injustifié montre une fois de plus qu’il n’y a aucune limite dans le fichage de la population. La loi sur le renseignement de juillet 2015 permet la surveillance incessante et abusive du peuple, elle est utilisée depuis, sans modération quand celui-ci tente de montrer son désaccord avec une société toujours plus violente et moins démocratique.

Le peuple a l’oeil, et pas dans sa poche. C’est pas parce-qu’on bouffe des cartes SD qu’on gobe leurs images !